«…ces pauvres gueux hier encore paysans, bergers ou artisans arrachés à coups de gourdin aux côtes de Falmouth… au nom de Sa Très Gracieuse Majesté!

…enrôlements forcés, mutineries, batailles navales, des chefs de pièces couverts de sang et de débris humains qui frappent à coup de nerf de bœuf les canonniers épouvantés, des malheureux fous de douleur, des corps brisés, mutilés…»

Arrêtons là cette plus que saisissante évocation du sort des malheureux enrôlés de force qui formaient les équipages des frégates et autres bateaux de guerre de la marine anglaise… mais aussi de France et d’autres pays.

Dans la remarquable préface de «Cap sur la gloire», de la non moins remarquable saga d’Alexander Kent, Michel Le Bris avertit le lecteur de ce qui l’attend tout au long de récits qui, avec exactitude et réalisme, décrivent ce qui fut une aventure grandiose pour les uns et un drame terrible pour beaucoup d’autres…

Combien de pères, de fiancés… d’hommes jeunes ou bien moins jeunes furent brutalement enlevés de force aux leurs, à la vie paisible qu’ils menaient jusqu’à ce jour-là et… terrorisés, parfois assommés et traînés, se retrouvèrent à bord des navires pour un destin inhumain…

Nourriture souvent exécrable, conditions de vie abominables dans les entreponts, dangers de chaque instant là-haut pour carguer ou déployer les voiles, ballottés par la mer, le vent… maux multiples et pas ou mal soignés… combats où le sang coulait à flots…

et pire que tout, la certitude de ne pas revoir femme, enfants, parents… avant au mieux des années et souvent jamais !

Comment les hommes ont-ils pu imposer à d’autres hommes une telle vie…?

Comment des hommes peuvent-ils imposer, aujourd’hui encore, à d’autres humains, des souffrances semblables !

Les superbes et redoutables vaisseaux de la marine à voile ont achevé leurs courses… mais d’autres «bagnes non flottants» existent en diverses régions de notre monde.

Les galères, l’esclavage ont disparu – encore que…! Mais des multitudes d’hommes, de femmes et d’enfants sont exploités et parfois de la pire manière…

Il y a toujours des «enrôlés de force», de manière moins voyante… mais tout aussi efficace.

Et même dans nos pays européens, nombre de jeunes filles venues de l’Est, d’Afrique ou d’ailleurs, contraintes à se prostituer, en sont un terrible symbole…

Il en est d’autres… «travailleurs clandestins» et victimes diverses de trafics dissimulés…

Et sans atteindre de tels abîmes d’inhumanité, les conditions de vie ou plutôt d’existence de trop nombreuses personnes, couples, familles, jeunes ou âgés sont autant de taches sur notre civilisation.

Mais que dire des captifs des systèmes concentrationnaires de Corée du Nord et d’ailleurs!

Il ne faut pas se voiler la face, la misère, les souffrances, se perpétuent…

Les droits de l’homme, la démocratie ne triomphent pas partout, loin s’en faut,

et même là où ils sont proclamés, ils demeurent partiels bien que précieux.

Et de plus, fragiles, car rien n’est, en ce bas monde, acquis pour toujours.

Quel sujet de réflexion pour chacun!

Abraham Lincoln, qui lutta contre l’esclavage, ce mal absolu, tare ineffaçable de l’histoire des hommes (même Athènes avait ses esclaves!),

Abraham Lincoln déclarait:

«Je plains l’homme qui ne sent pas le fouet, quand c’est le dos d’un autre qui est frappé!»

Parole si simple, si belle… venant d’un cœur qui a vibré devant la misère des autres.

Parole iconoclaste!

Ne doit-on pas plaindre plutôt celui que le fouet frappe et blesse?

Bien évidemment… mais Abraham Lincoln interpelle chaque humain plus profondément, et invite chacun à réfléchir:

«Comment peux-tu demeurer indifférent ou insensible au sort de ton prochain, enfant ou vieillard, femme ou homme, quelle que soit leur culture ou leur milieu de vie,

blanc, noir, ou jaune…?

Et si tu es indifférent ou insensible (ou pire, si tu es complice!), alors je te plains…»

N’est-ce pas là le message d’Abraham Lincoln?

Car ce qui est le plus noble, le plus pur, le plus grand chez l’homme, c’est l’élan du cœur… qui aime, compatit, partage, secourt… et cette joie de donner, de se donner, apporte une paix, une sérénité que rien d’autre ne peut offrir.

N’est-ce pas ce que le Christ a révélé, ce qu’il a donné comme ligne de vie à celui qui veut écouter:

«Aime ton prochain comme toi-même…»

Quelle lumière pour éclairer le quotidien de notre brève existence! Existence si éphémère, mais qui trouve tout son sens dans l’éternité du dessein de Dieu.

Pasteur Yvon Charles