« C’est encore plus beau ainsi ! »

Cette réflexion, Anne Sauvy ne l’a jamais oubliée.

Anne Sauvy, historienne à la Sorbonne, alpiniste, écrivain, conte avec beaucoup de simplicité l’anecdote qui la marqua tant.

Il est question de Frison-Roche, le grand guide, écrivain et journaliste si célèbre… A l’époque, il était déjà très vieux :

« …C’était au cours de l’été 1994. Un jour morose, gris et froid… il y avait des masses de nuages enrobant la haute montagne et laissant à peine apercevoir ce qui était au-dessus de nous. Un petit crachin triste tombait…

Les pentes raides qui enserrent la vallée – de Chamonix – semblaient sinistres dans le brouillard…

« Ah ! pensais-je, quelle journée triste ! Quand donc reviendra le soleil ? « 

Frison-Roche arriva, accompagné d’un ami, car déjà, il ne conduisait plus lui-même.

Ce fut un peu d’animation que cette visite imprévue dans la lugubre après-midi. Frison était comme à son ordinaire, souriant et sympathique pour tous.

A un moment, il sortit sur le seuil, porta son regard vers la moyenne montagne demi-masquée de brumes mouvantes, soupira d’étonnement et de bonheur et murmura :

« C’est encore plus beau ainsi ».

Jamais je n’oublierai cette leçon. Elle le résumait tout entier.

Agé, il savait encore apprécier tous les aspects de la montagne et avait gardé pour elle l’amour qu’il avait eu enfant. »

Anne Sauvy retint la leçon. Comme elle fit bien !

Le regard que nous portons sur les êtres et les choses influe considérablement sur nos pensées, nos états d’âme, notre comportement.

Un visage morose, et le reflet dans le miroir apparaît triste et peu engageant.

Un sourire, et le visage s’illumine.

C’est ce que souligne ce passage de la Bible :

« On trouve dans l’eau le reflet de son propre visage,

et chez les autres le reflet des sentiments que l’on exprime. »

Il en est de même quant au regard jeté sur la vie quotidienne et les circonstances diverses rencontrées.

Ainsi que le soulignent ces proverbes populaires,

« Il est des personnes auxquelles il manque toujours un pour faire dix » ou

« La bouteille est toujours à moitié vide »,

manières imagées et simples de dénoncer un pessimisme chronique et aliénant.

Leur existence en est assombrie, et, également celle de leur entourage.

Il ne s’agit pas, bien évidemment, de cultiver un optimisme béat, ni de refuser d’affronter lucidement les réalités… pas plus que de devenir adeptes de la méthode Coué…

mais d’apprendre à notre esprit (et à nos enfants) à reconnaître que,

si les roses ont des épines, elles sont aussi très belles et dégagent un parfum suave,

si les ronces peuvent blesser, elles donnent aussi d’excellentes mûres…

Apprendre à regarder la vie, avec ses épines et ses ronces,

mais y discerner aussi les bons moments, la joie de l’amitié et du partage, le bonheur d’aider et de secourir, les merveilles de la nature…

et l’immense privilège d’avoir été appelé à la vie.

Certes, il y a les moments difficiles, les épreuves… Tous, nous en connaissons, tôt ou tard !

Mais là encore, la manière de les aborder change beaucoup de choses !

Mais écoutons encore Frison-Roche répondant à Anne Sauvy à propos de la vieillesse :

« Quand on vieillit, il faut se dire qu’il vous reste l’essentiel, et accepter les petits trucs moins agréables… je crois qu’il est très important de rester en contact avec les jeunes.

Ne pas fréquenter que les vieux ou les encore plus vieux !

Et puis, il faut aussi savoir renoncer graduellement.

Il ne faut pas vouloir dépasser ses forces, sinon on se dégoûte, et on ne fait plus rien.

Maintenant, j’ai renoncé à la haute montagne, mais il me reste un tel plaisir à me promener dans les Aiguilles Rouges, ou en Vanoise, ou en Beaufortin… »

Paroles d’un sage qui vécut jusqu’à quelque 94 ans !

A notre époque où la publicité, les médias, veulent faire croire que sans tels produits, ou telles « sensations » la vie est terne, sans objet ou presque,

à une époque où beaucoup se réfugient dans l’alcool, la drogue… ou le divertissement au sens pascalien du terme, il est bon, il est salutaire, d’entendre répéter ce qui devrait être une évidence :

vivre est une joie chaque jour renouvelée, et les choses simples de la vie sont autant de merveilles si l’on prend le temps de les observer et de les méditer…

Et quand l’existence se déroule sur le solide terrain tracé par le Créateur et révélé par l’Evangile,

quand chaque jour est baigné ou illuminé par la lumière d’en haut, alors tout a un sens, et la mort elle-même s’éclaire au soleil de la vie éternelle..

Y.CH