Monty Roberts regarde, consterné, la feuille de rédaction rendue par son professeur. En rouge, à la première page, un grand F majuscule, suivi de quelques mots : «Viens me voir après la classe !»
F! Dans le système scolaire de son pays, c’est la plus mauvaise note possible, une note éliminatoire, qui ferme évidemment beaucoup de portes pour l’avenir d’un étudiant.
Le jeune Monty avait pourtant mis tout son cœur dans cet exposé. Lorsque le professeur avait annoncé aux élèves de la dernière année du cours secondaire qu’ils devaient faire une rédaction avec, comme sujet, ce qu’ils voulaient faire de leur vie, Monty avait écrit, d’un trait de plume, sept pages sur des projets bien précis, parce que lui, au moins, savait ce qu’il voulait faire.
Le rêve de ce jeune Californien était de posséder un jour son propre ranch de chevaux. Avec beaucoup de détails, il avait décrit ce ranch futur de quelque 80ha, avec une maison de 370 mètres carrés, dessinant même des plans des différentes écuries et dépendances et les pistes pour entraîner les chevaux… Passionné, il avait eu beaucoup de plaisir à décrire ce projet, et avait rendu sa copie en toute confiance.
Son projet était-il vraiment irréaliste ?
C’est pourquoi son incompréhension devant le résultat était totale, et la question qu’il posa à son professeur après la classe fut spontanée: «Pourquoi est-ce que j’ai échoué»?
Le professeur s’était alors mis à lui expliquer que c’était un rêve irréaliste pour un garçon comme lui.
«Tu n’as pas d’argent, lui dit-il. Tu viens d’une famille itinérante. Tu es sans ressources. Posséder un ranch de chevaux est une entreprise onéreuse. Il faut acheter la terre. Ensuite il faut beaucoup d’argent pour acheter les premières bêtes du troupeau… Si tu refais ta rédaction en te donnant un but plus réaliste, je vais revoir ta note», avait-il conclu.
Ce jour-là, Monty était rentré chez lui, décontenancé. Il avait longtemps réfléchi, puis il avait demandé conseil à son père, entraîneur de chevaux et, à l’époque, responsable d’un ranch.
«Écoute mon gars, lui avait répondu celui-ci, personne ne peut décider pour toi. Mais je pense que c’est une décision très importante.»
Finalement, après une semaine de réflexion, le garçon avait rendu le même devoir, sans aucun changement.
«Vous pouvez maintenir la note, avait-il dit au professeur, moi, je garde mon rêve !»
L’homme qui «parle» au chevaux…
Monty Roberts, né en 1935, dans la petite ville de Salinas, en Californie, est en effet passionné de chevaux. Il faut dire que dès son plus jeune âge, il vit dans ce milieu. Son père a toute sa vie entraîné des chevaux, allant de ranch en ranch proposant ses services ou, à certains moments, comme responsable principal d’un ranch. Sa mère est monitrice d’équitation.
Tout petit, Monty passe beaucoup de temps en selle, au début installé sur l’encolure du cheval, devant sa mère, lorsque celle-ci donne des cours d’équitation, puis sur sa propre monture. Déjà à l’âge de 4 ans, il participe à des concours de rodéos, et très jeune, il tourne dans des films westerns comme doublure pour des cascadeurs.
En désaccord avec les méthodes souvent dures et brutales, utilisées à l’époque pour débourrer et dresser des chevaux, notamment les mustangs sauvages capturés dans la nature, il cherche à développer une autre approche, basée sur la confiance mutuelle entre l’homme et la bête, en «parlant» aux chevaux, en essayant de comprendre leur «langage».
A l’âge de 13 ans, il part tout seul dans le désert du Nevada pour étudier les mustangs en liberté. Avec beaucoup de patience, il les suit, arrive à s’en approcher sans les effrayer… Il passe des jours à les observer, à chercher à comprendre comment ils communiquent entre eux, et à partir de ce qu’il a vu, il met sur pied, petit à petit, sa propre méthode de débourrage et de dressage.
Cette méthode qui exclut la violence, la maltraitance, est entièrement basée sur la construction subtile de relations de confiance où, finalement, l’animal va obéir à l’homme, non pas parce que sa propre volonté a été brisée par la brutalité, mais parce qu’il a envie de le faire.
Pendant des années, Monty peaufine sa méthode. Souvent, il est critiqué par ceux qui sont attachés aux méthodes du passé. Incompris, même par son père, il persévère malgré tout, et plus le temps passe, plus sa méthode commence à intéresser les gens autour de lui. Même les professionnels du milieu s’aperçoivent que loin de leur faire perdre du temps, l’approche de Monty, une fois bien comprise et bien appliquée, leur permet d’en gagner, et pour un résultat meilleur.
Un monde meilleur… pour les hommes et pour les bêtes !
Petit à petit, le succès est au rendez-vous, et un jour, Monty possède son ranch, exactement comme dans son rêve d’enfant. Il est marié, son épouse Pat partage entièrement sa vision, et outre leurs propres trois enfants, le couple accueille beaucoup d’enfants en difficulté pour les aider à s’insérer dans la société. En tout, au cours des ans, 47 enfants ont ainsi été intégrés à la famille Roberts à un moment ou à un autre.
Aujourd’hui, Monty est connu dans le monde entier. Il a écrit plusieurs livres, plusieurs documentaires ont été réalisés sur son travail. Il parcourt de nombreux pays pour parler de ses méthodes et inciter d’autres à les appliquer.
Depuis 2013, il accueille aussi des vétérans de l’armée, des hommes brisés par des expériences douloureuses durant les différents conflits qu’ils ont connus, et plusieurs ont trouvé, dans ce contact avec les chevaux du ranch, sinon une guérison complète, du moins un grand apaisement intérieur…
Monty veut travailler, modestement à son niveau, pour que notre monde soit meilleur, aussi bien pour les bêtes que pour les hommes.
Un jour, parmi tous les groupes scolaires qu’il accueille, le professeur qui lui avait donné cette note éliminatoire pour sa rédaction, vient avec 30 élèves visiter son ranch.
Au moment de partir, très impressionné par ce qu’il a vu, il va vers son ancien élève.
«Écoute Monty, lui dit-il, je peux te le dire à présent. Quand j’étais ton professeur, j’étais une sorte de briseur de rêves. A l’époque, j’ai brisé les rêves de plusieurs enfants. Heureusement, tu avais assez de jugeote pour ne pas abandonner le tien.»