Des millions de Français en rêvent… et chaque année quelques milliers franchissent le pas! Selon une récente enquête Opinionway, près de 8 millions de nos concitoyens aspireraient à changer de vie, quitter la ville, partir au vert et se mettre à leur compte pour ouvrir un gîte ou une chambre d’hôtes à la campagne !
L’activité n’est pas nouvelle, le premier gîte rural de France ayant été officiellement créé en 1951 ! Mais, plus que jamais peut-être, ce type d’hébergement «chez l’habitant», jouit d’un véritable engouement : vivre au calme, «à un autre rythme», en harmonie avec un milieu naturel sont, à première vue, des aspirations partagées tant par les vacanciers que par les hôtes.
Pour autant, derrière cette image d’Épinal, la réalité n’est pas toujours aussi simple. Vivre d’un gîte n’est pas réellement chose aisée et la quiétude recherchée par la clientèle est de plus en plus bien relative. L’empreinte des exigences et habitudes de la vie «moderne» agite jusqu’au fond des campagnes !
«Vraiment, ce n’est plus mon monde… Quand je vois ce qui compte de plus en plus pour nos clients et qui les intéresse ! La première chose qu’ils nous demandent, c’est d’avoir leurs chaînes modernes, le code wifi !». Le ton est désabusé, l’air grave… Même si, quelques secondes plus tard, il ajoutera «C’est comme ça. Il faut s’adapter pour vivre, mais c’est vraiment triste d’en arriver là».
Recommandés chaque année depuis plus de 10 ans, notamment par le célèbre Guide du Routard, les 10 gîtes dont vivent D. Grisoni et son épouse, sont remarquables ; tant par le cadre de vie qu’ils offrent, dans une magnifique orangeraie corse, avec vue sur la baie de Porticcio, que par la qualité de l’accueil des hôtes. Mais le couple n’en partage pas moins un sentiment de malaise face à l’évolution du marché de l’hébergement.
Non à la désertification des campagnes
Il faut bien l’avouer, l’hébergement chez l’habitant a bien changé depuis l’été 1951 où Émile Aubert, alors sénateur, créa le premier gîte rural, au hameau de Chaudol à La Javie dans les Alpes de Haute-Provence! Pour ce sénateur, la démarche se place alors résolument dans une «logique d’aménagement du territoire et de lutte contre la désertification des campagnes» ! En effet, en ces années post Seconde Guerre mondiale, l’exode rural s’accélère, les campagnes se vident, l’habitat est délaissé… Les premières ruines apparaissent dans nombre de bourgs et villages.
Pourtant, dans le même temps, beaucoup de citadins désirent revenir les week-ends ou durant les vacances (qu’offrent désormais les congés payés) à la campagne. L’idée est donc double : utiliser les demeures abandonnées pour accueillir les citadins et offrir ainsi aux ruraux l’opportunité de rester vivre sur leur territoire. Un gîte est loué à la semaine, au week-end ou au mois en basse saison, une chambre d’hôtes à la nuit, petit-déjeuner inclus.
Denise et Lucien Roche, cultivateurs et éleveurs de moutons, acceptent de servir de «cobayes» et aménagent une grange inoccupée… L’essai est concluant ! L’année suivante, l’association des Gîtes de Haute-Provence est créée, suivie en 1955 par la Fédération nationale des Gîtes de France.
Gîtes de France a fait des émules…
En 1957, le premier annuaire compte 600 gîtes, répartis dans une trentaine de départements. En bientôt 70 ans, le label «Gîtes de France» s’est peu à peu développé, au point de devenir le 1er réseau en Europe d’hébergement chez l’habitant et la troisième marque touristique la plus connue des Français !
Acteur majeur du secteur du tourisme en France, regroupant 47 000 adhérents et quelque 60 000 hébergements, les Gîtes de France réaliseraient, selon une récente étude socio-économique menée par le cabinet MKG Hospitality, un chiffre d’affaires de près de 650 millions d’euros, et auraient un impact économique avoisinant les 2 milliards d’euros. Ils seraient ainsi à l’origine de quelque 31 745 emplois directs, indirects et induits, pour la majeure partie, créés en milieu rural.
Bien entendu, durant toutes ces années, Gîtes de France a fait des émules et nombreux sont les groupements, tels Clévacances, Abritel, Fleurs de soleil et désormais Airbnb, mais aussi les indépendants, qui se sont mis sur le créneau ! Or si, à première vue, ouvrir une structure d’hébergement semble relativement simple et en faire son métier une perspective agréable et lucrative, la réalité est autre…
« Difficile d’en vivre »
Notons tout d’abord que, comme pour toute activité commerciale, l’emplacement est essentiel. «Il faut trouver le bon endroit et ne pas tomber dans le piège classique de la maison de famille ou du bout de maison que l’on veut absolument reconvertir en gîte ou en maison d’hôtes, mais qui n’est pas assez bien situé pour attirer la clientèle», souligne Christian Biancaniello, vice-président de Clévacances.
Certes aujourd’hui, notamment avec les taux d’intérêt bas, l’acquisition d’un bien immobilier n’est pas hors de portée: «Si certaines régions voient leurs prix flamber, d’autres zones géographiques présentent des prix qui restent très attirants pour les projets d’installation à visée touristique», explique Fabrice Abraham, directeur général de Guy Hoquet.
Toutefois l’achat d’une résidence n’est qu’un préalable (certes essentiel) au lancement de cette activité, mais ne présage pas pour autant de la réussite de l’entreprise. Aux travaux d’aménagement et de mise aux normes souvent nécessaires pour adapter le bien, viennent s’ajouter des frais réguliers pour séduire la clientèle. «Ouvrir un gîte ou une chambre d’hôtes est un peu un fantasme. Mais en vivre est difficile car il y a beaucoup de concurrence», préviennent Laure Thiebault et Céline Arsac, respectivement juriste et chargée de veille à l’Agence France Entrepreneur (AFE).
Une récente enquête de l’observatoire des Gîtes de France révèle, en effet, que seuls 20% des propriétaires dégagent assez de revenus pour en faire leur activité professionnelle principale… Et cela à condition de ne pas compter les heures de travail, d’astreintes et de remettre constamment l’ouvrage sur le métier!
« Les règles du jeu ont changé ! »
Car il faut le savoir, en matière d’exigences, les «nouvelles demandes» de la clientèle se posent là !
Il est de plus en plus loin le temps où un «gîte rural» était synonyme de simplicité, voire de rusticité! Hormis quelques-uns qui peuvent jouer de cet argument comme marque de différenciation, la plupart des gîtes et chambres d’hôtes se doivent de suivre les évolutions de la société et de répondre à un niveau d’exigences de plus en plus élevé, pour ne pas dire parfois extravagant! Outre les équipements de confort «comme à la maison», la norme est quasi désormais à intégrer les dernières technologies, la domotique, les tendances bien-être (spa, sauna, jacuzzi) ou autres, les modes déco, etc.
C’est à ce prix que le cahier de réservations se remplira… via le web ! Car aujourd’hui 80 à 85% des clients réservent leur location en gîte ou chambre d’hôtes sur Internet. Impossible donc de faire l’impasse sur ce moyen de promotion. S’il est toujours important de figurer sur les guides et autres listes d’adresses tenues par les offices de tourisme locaux, «les règles du jeu en matière de commercialisation ont changé», insiste C. Biancaniello.
e-tourisme et touche-à-tout !
Désormais, selon l’AFE, se lancer dans une telle activité professionnelle «nécessite de mettre en place une véritable stratégie d’e-tourisme avec présence sur les annuaires Web, les réseaux sociaux et même les sites d’avis et de notation». «Les propriétaires de gîtes et de chambres d’hôtes n’ont pas d’autre solution que de consacrer un budget marketing annuel à leur activité. Voire, de conclure des partenariats commerciaux avec des plates-formes de vente en ligne». Ainsi, par exemple, en moyenne, ceux qui vivent de leur activité d’hébergement avec un chiffre d’affaires de 30 à 40 000€/an, consacrent 1.665€ à leur budget de communication !
L’enjeu est alors non seulement de remplir l’agenda des réservations aux périodes clés de l’année, mais surtout de mieux répartir l’activité en réussissant à la désaisonnaliser. Le taux d’occupation moyen en France, bien que très fluctuant selon le type d’offre et l’emplacement géographique, atteignait l’an dernier 31%, soit 16 semaines ! Bien qu’à relativiser, car étant une moyenne de réalités diverses, ce chiffre révèle néanmoins la réelle insuffisance d’activité à laquelle beaucoup de ceux qui voudraient en vivre sont aujourd’hui confrontés…
Pour tenter d’accroître leur attractivité, beaucoup d’hôtes misent désormais sur une offre complémentaire : repas de terroir, activités de pleine nature, stage (équitation, plongée, parapente), vie à la ferme, nuit insolite, sports extrêmes…, espérant ainsi capter une clientèle familiale, de passionnés, voire de plus en plus de touche-à-tout!
Prendre le temps de vivre…
Et c’est bien ce que déplore D. Grisoni, lui qui à 70 ans en a vu passer des «touristes» dans le village de Corse du Sud dont il est maire, comme dans ses gîtes sur la montagne qui domine la baie de Porticcio : «Trop de gens sont devenus des consommateurs… ils surfent d’un spot touristique à l’autre, «likent» sur Facebook, donnent leur « avis » sur internet, puis passent à autre chose».
«Heureusement, il en est encore qui savent s’extraire de cette société agitée et superficielle, apprécier le cadre de vie, le calme, découvrir un terroir, prendre le temps de vivre et de se ressourcer…».
Alors ceux-là, D. Grisoni aime les accueillir et ne doute pas qu’ils reviendront, car ces hôtes savent que la qualité d’un gîte repose avant tout sur l’accueil, le sourire, le partage…